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L'objet de ce blog est de faire connaître mes publications philosophiques et poétiques.
Je présente l'édition de mon ouvrage "De la Faille et de la Verité" en version intégrale, pour offrir au lecteur le fruit de plusieurs années de recherche, en espérant que ces travaux, tout personnels qu'ils soient, puissent rencontrer la faveur de lecteurs intéressés par les questions fondamentales, dont tout un chacun peut faire aisément l'épreuve dans les moments cruciaux de l'existence. Je me suis efforcé de dire dans la plus grande simplicité et fermeté ce qui constitue pour chacun le fonds obscur, l'énigme insistante et parfois angoissante, la part maudite, mal-dite, de son être, à partir, nécessairement, d'un dénudement qui ne peut être que personnel. La gageure c'est de poser que le plus subjectif, structurellement, est forcément le plus universel, non dans son contenu, qui est propre à chacun et quasi incommunicable, mais dans sa forme : l'envers obscur de la lumière, qui est antérieure à toute lumière, chaos principiel dont procède toute manifestation et toute expression.
Cette plongée dans les abysses nécessite un style très particulier, où l'intuition philosophique ne prend sa force et sa portée que d'une expression inventive et poiétique, toujours neuve et vagabonde.
Par ailleurs je donne la liste de mes autres ouvrages qui ont fait l'objet de publications éditoriales sous la rubrique "Autres publications".
Je publie ensuite "LE SPECTRE DE FESSENHEIM", ensemble de textes inspirés par la situation présente de la civilisation, marquée comme chacun sait, par de redoutables défis, dont le nucléaire, entre autres. C'est l'occasion de s'intérroger sur les fondements impensés d'une culture vouée à la vitesse, au profit à court terme et à l'arraisonnement universel.
Troisième ouvrage : "PHILOSOPHIE de la NON-PENSEE" - ouvrage philosophique, en cours d'édition à parir de septembre 2015.
HELLENIQUES : poésie 16 - 1 à 3
HELLENIQUES - POESIE 16
ORPHEE
Si nous sommes tous morts en Eurydice
C'est en Orphée que nous vivons enfin
L'âme perdue en rose se métamorphose
Et le désir se transmue en destin.
HERACLITE
On l'appelle Héraclite l'Obscur. Mais son obscurité a les tranchants étincelants de la lumière, entame nue, déchirante.
L'obscurité n'est qu'un terme commode pour dissimuler notre faiblesse de regard.
L'évidence est trop proche, aveuglante. Aussi préférons-nous d'habitude un lointain brumeux, abri facile de nos veuleries et de nos découragements.
POEME pour ŒDIPE
« Oedipe avait un oeil en trop peut-être »
Pourtant il n'a pas vu l'heure venir
Où sonnerait le glas au nombre noir.
Ce qu'il a enduré nul ne peut le comprendre,
Mêmes les dieux se détournent de lui.
Assis sur un rocher près de Colone
Dans le bosquet réservé d'Aphrodite
Il transgresse, ignorant, l'interdit
Et le gardien du lieu le chasse à coups de pierre.
Quoi qu'il fasse il est toujours à contrejour
A ne pas voir ce que voient tous les autres
A s'étonner de son propre chemin.
Résigne-toi mon coeur à vivre d'errance,
Le savoir ultime de l'aube et du couchant
Laisse-le, confie-le à la féconde Nuit.
HELLENIQUES : poésie 16 - 4 à 5
MARS et VENUS : LUCRECE
"Toi seul accordes aux mortels le bonheur de la paix
Puisque le dieu des armes, maître des combats féroces
Mars, vient souvent se réfugier en ton sein
Vaincu par la blessure éternelle d'amour.
Il y pose sa belle nuque, puis levant les yeux
Avide, s'enivre d'amour à ta vue, ô Déesse
Et ployé contre toi suspend son souffle à tes lèvres.
Lorsqu'il reposera, enlacé à ton corps sacré
Fonds toi en son étreinte et tendrement exhale
Pour les Romains, Grande Vénus, tes prières de paix" LUCRECE I, 31à 40)
Vous connaissez peut-être le grand tableau de Botticcelli, du même nom : Venus et Mars. On y voit Mars allongé sur la couche d'amour, tout alangui après la jouissance, pendant que Venus le regarde avec tendresse, mais non sans un certain détachement paradoxal. Elle est toute habillée à la florentine, le corsage sagement fermé, pendant que son amant expose sa virile nudité et sa béatitude. Etrange contraste! Le moderne s'attendait sans doute à voir Vénus denudée, au moins en partie, et Mars plus pudique. Non, c'est Mars qui exhibe ingénument les signes évidents de la douce fatigue qui suit l'amour. L'ensemble du tableau respire la volupté païenne, affranchie de toute censure, dans le détachement souverain des corps, et l'innocence espiègle de la jeune fille, triomphalement libérée. Bientôt suivront la magnifique Naissance de Venus et le Printemps, dont il est vain de célébrer la splendeur matutinale!
HESIODE
Que serait une faille, un trou que ne délimite aucun bord? Voilà une question de Moderne qui visiblement n'embarrasse pas Hésiode quand il rédige la Théogonie. Relisons quelques vers :
Or donc, tout d'abord, exista Chaos, puis par après
Terre Large-Poitrine, base sûre à jamais pour tous les êtres (vers 116 et 117)
De Chaos naquit Erèbe et la Nuit toute noire
De Nuit naquit Feu d'en haut et Lumière du jour (vers 123 et 124).
Quel est ce mystérieux Chaos d'où procèdent tous les éléments de l'univers? Chaos : ouverture, bâillement, hiatus. Originellement le mot n'évoque pas particulièrement le désordre. D'après ce texte Chaos est totalement indéterminé. On n'en peut rien dire, si ce n'est précisément qu'il est antérieur à tout temps mesurable, à toute histoire. Les choses commencent avec la naissance de la Nuit, du Ciel, du feu, du jour, et de la terre. Toute explication, toute interprétation serait ici incongrue. Il suffit au poète d'énumérer. En donnant le mot juste, il donne définitivement le sens, il "réalise" en quelque sorte la Vérité. Le Logos qui énonce est auto-suffisant, et le poète est toujours vrai. C'est du moins ainsi que les Grecs de la tradition voient les choses. Dans le poème la Parole de Vérité séjourne et brille, immédiatement sensible aux auditeurs.
Le traducteur (Jean-Louis Backès dans Folio) propose Faille pour Chaos. Cela évite le contre-sens sur le désordre. Mais aussi, comment concevoir une Faille qui ne serait pas déchirure d'un tissu préexistant? Nous voilà pris aux rets de la raison raisonnante. C'est le meilleur moyen de rater l'esprit de cette Vérité du poème, plus vraie que toute vérité rationnelle.
Nous n'en sommes pas si loin quand nos astrophysiciens évoquent une nébuleuse "soupe primitive" supposée antérieure aux premières secousses du temps. L'origine est rigoureusement impensable. Dès lors le mythe conserve à jamais son éclairante obscurité. Notre science est notre mythologie, à ceci près qu'elle n'a aucune vertu poétique. D'où l'actualité paradoxale d'Hésiode.
Mais cette aporie est précieuse pour saisir l'essence du langage. Que je dise Faille, ou Chaos, ou Tao, ou Soupe Primitive, peu importe en somme puisque je ne dis rien, si ce n'est mon impuissance à nommer, me réfugiant dans une pure logomachie? Un signifiant ne se définit que par différence avec un autre. Le langage, pour exister comme tel, suppose originellement deux termes qui se distinguent. Le poète qui nomme le Chaos ne livre aucun savoir, il le sépare de ce qui suivra, il délimite, il écarte, il isole le domaine de l'originaire, le contient, le retient et le protège comme savoir impossible. "De Chaos il n' y a rien à dire. Toutefois je le nomme, non pour en révéler la nature, qui m'échappe autant qu'à vous, mais pour le situer, et le situant, le conserver dans la mémoire des hommes, inexploré et obscur, trace d'un Avant inconnaissable. Il vous suffira d'en recevoir le nom. Rien de plus pour les mortels.
L'édifice du langage repose sur un indicible. Vouloir le saisir par le langage même relève de la démence. Peut-être la poésie, et le mythe, sont-elles une sorte de délire dont la fonction paradoxale serait de désigner par le verbe, de sauvegarder ce qui, à jamais, est celé dans le pli de l'impossible.
HELLENIQUES : poésie 16 - 5 à fin
APOLLON
De tous les dieux
Apollon c'est toi que je préfère
Et Artémis ta soeur jumelle
Chasseresse, enfanteresse
Eternellement chaste et jusque dans l'amour
Fidèle au jour qui t'enfanta!
Je n'ai plus souvenir de tout ce que je sais
J'ai tout oublié, effacé,
Je ne suis plus que ce regard ébloui qui se délivre
Dans le regard immense, infiniment ouvert
Multiple, excentrique du dieu
Qui a nom Univers.
APOLLON (2)
Que se déchirent toutes les images
Que se détisse la suture de la langue
Alors il se pourrait que le dieu apparaisse
Et parfois de sa main gauche il fait signe.
Si le poète survit à l'effraction terrifiante
Du monstrueux sans mesure
Il accède parfois à la parole nue
Fleur du désert qui n'a plus de nom.
DIONYSOS
Assis près de Dionysos à l'ombre des futaies
Je regarde la nuit monter lentement de la terre
Comme une vague tendre et je repense aux jours anciens
Aux promesses de l'aube, aux émois des premiers éveils,
Déjà le coeur se serre aux souvenirs enténébrés,
Le soir se fait plus frais, plus moite sur la peau, plus âpre
Rien ne saurait guérir de vivre et l'espoir est chimère
Dès le premier instant tout est dit, naissance et mort
Sont le même et le seul réel qui consomme l'extase
L'origine et la fin dans un unique flamboiement.
Je voudrais me dissoudre en fumée dans le ciel rougeoyant
Eparpillé, poussière et or, dans l'incendie solaire
Et s'il me reste encore un peu de temps sur cette terre
Que ce soit comme flamme et cendre en attendant l'aurore.
LUMIERE GRECQUE
Je vis avec les dieux
La nature m'enveloppe et me porte
Je n'ai plus peur.
De toujours j'aime les arbres et la rivière
Je regarde tomber le feuillage d'hiver
Une aube d'ocre tapisse la montagne
Les dieux sont parmi nous.
Je ne manque de rien
Le fond obscur de toutes choses
Monte de la grande Faille originaire
S'extasie en soleils!
Vivons, vivons, amis chers
Vivons de peu
Rien ne manque à qui respire
Qui danse dans le Feu!
ORPHEE (2)
Ici, tout près
Des tourbières, suinte
Le rocher.
Ici, nul
Osier ni ruisseau
Nulle nymphe.
Matin glauque. Pourtant
Le bois je l'ai lissé, caressé
Nervures décapées,
J'ai accordé tous les mots de la langue.
Toi seul tu manques, toi
Dieu-lyre,
Ta parole.
EURIPIDE
Voici la délicieuse strophe qu’Euripide consacre aux Grâces et aux Muses : « La folie d’Héraklès » v 673 à 684 :
« Je veux, tout au long de mon âge,
Unir les Grâces avec les Muses
Délicieuse alliance.
Je ne saurais vivre sans elles,
Vivre sans leurs couronnes.
Le poète a vieilli mais sa chanson retentira encore.
Pour louer Mnémosyne et les victoires d’Héraklès,
Bromios toujours me donne son vin ;
Voici la cithare aux sept cordes, la flûte de Lybie.
Il n'est pas temps pour moi de renoncer aux Muses,
Qui m’ont admis parmi leurs chœurs. »
Bromios ici nommé est un des innombrables noms de Dionysos. Remarquons qu’Euripide ne dissocie point dans son chant la lyre d‘Apollon (la cithare aux sept cordes) et la flûte dionysiaque. Les deux divinités sont nécessairement associées dans la célébration lyrique. Deux sources de la poésie, et qui n’en font qu’une : le chant des profondeurs chtoniennes et des jeux sublimes de la lumière, terre et ciel, un seul monde.
ARTEMIS
Artemis-forêt
Tes biches protège-les
Des flèches tueuses
Comme le vent protège la mer
La berçant de son amour.
SISYPHE
Nous glissons incertains sur le fleuve du temps
Roulant de pierre en pierre
Une vie morcelée, éclatée
Que seul un dieu pourrait parfaire
Mais les dieux sont bien morts
Hélas, il ne suffit pas qu'ils soient morts
Il faut les tuer une seconde fois
J'étais triste, jadis, j'avais trop de peine
Mais la peine s'en est allée
Au fil des jours, au fil des nuits
Ni bleu, ni rose, noir ou gris
Le jour naît de la nuit insondable
Et retourne à la paix de la nuit.
CORPS-UNIVERS : poésie 3
CORPS UNIVERS
ARGUMENT
Formes dissoutes,images disloquées
Dans la déroute du corps-arbre, du corps-maison, de l'architecture ordinaire qui magnifie l'unité et le sens, je ne vois nulle tristesse, mais l'aube d'une nouvelle histoire qui porterait dans l'ordre humain les brillantes révolutions de l'astrophysique, parachevant la décentration initiée par la science.
Dissous dans l'univers, mêlé aux milliards de courants de la matière inventive et féconde, le corps-esprit retrouve sa patrie. Je suis, sans frontière ni centre, à l'équicentre de tout, universellement dispersé, et, de manière toute impersonnelle, immergé à perpétuité dans l'indicible présence.
1
Je me rince l'oeil
Petit garçon au regard épaissi
Calfeutré d'idées fausses
D'interdits
De péché, de dénature et de peur
Que ne pouvais-je voir, coeur battu, coeur battant
Par la serrure entrouverte le trou
Sublime
Ouvert sur tant de profondeurs humides
Tropicales et douces et fleurant bon
La caresse à distance
Comme de petits chats qu'on lèche du regard
Avec de tendres jappements goulus
Ah la première faim, l'inapaisable
Délicieuse insuffisance qui laisse ouverte
Au flanc de l'être la plaie suave du plaisir!
2
Je vois partout de la beauté
(je suis en Toscane au bord de la mer et je me promets de délicieuses visites à Florence, Pise, Sienne, et mille rencontres de hasard...)
Ah quel plaisir
La sieste sous les pins
Quelques beaux livres d'art du monde entier
Et Valéry Larbaud, Cendrars, et quelques autres
Et tout autour
La merveilleuse langue italienne
Cet opéra perpétuel
Gina, Giuliana, Giuletta, Francesca
Et cela chante, roucoule
Et berce et pleure et console et bénit
Douce voix de l'enfance immortelle
Baisers muillés, voluptueuses larmes
Le regard embué de la Vierge au rocher
Enveloppe l'enfant dans un nuage rose
Des filles jouent à la marelle
Leurs cris font palpiter l'ombre des pins
La lumière s'incurve et s'adoucit
Tous les instants miment l'éternité
Et toute chose fait retour à l'origine...
3
Le destin
C'est le traçage des routes
Routes du sang
Lignes
Articulations
Fuite du plaisir lent par les feuilles de l'âme
Frayages de douleur
Excitations
Eboulements
Toute une cartographie sensitive et lascive
Turbulences, dérives, feuillaisons
Villages de moiteur sous les collines
Hanches qui portent des enfants nus
Tahitiennes éberluées, Gaughin partout où chante la couleur
L'Egypte toujours, dans le coeur et ailleurs
Chevelures, cascades - ô chevelures
O combien je vous aime
Constellations fileuses, neigeuses, cascadeuses
Ah le corps est un monde inexploré
Tous les médicastres n'y connaissent rien
La surface est une immense profondeur
Mille abîmes dans un grain de peau
Mille cavernes multicolores et sonores
Avec des centaines de tortues bleues qui passent comme des rêves
Hiératiques
Je voudrais parcourir les fleuves lents du corps
Remonter les courants souterrains
Jusqu'à la source obscure, inexplorée
Le Nil y prend son départ pour la mer à travers les déserts
Le malheur agonise
Les dieux nous guident, ces pensifs méridiens de libido itérative
Rien ne résiste
Le bonheur
C'est l'esquif invisible, invincible
Qui trace à la surface bleue ces rayons chatoyants
Jusqu'à l'extrême où se dissout le corps.
4
Le corps-esprit est une nébuleuse
Un éparpillement
Comme un poème
Eclaté, dispersé, disloqué
Chaque mot est un centre
Chaque syllabe.
Il n'a pas d'origine, pas de fin.
Toujours ouvert
Nappe de sable et vent de mer.
CORPS-UNIVERS (5 à 11) : poésie 3
5
J'ai fait le deuil de l'image du corps
Imagez-vous sous la forme improbable d'un nuage. Est-ce là figure humaine ? Mais après tout, que savons-nous de l'homme ? Et si l'homme n'était que la solidification d'un mythe ?
Problème de perspective. Défaites la vision ordinaire. Dissolvez les attaches et les habitudes, laissez flotter, et voilà que se dissout toute unité, toute forme. Je ne suis plus nulle part - ou encore - je suis là où l'on voudra, suivant telle image, telle pensée, tourbillonnant, évanescent et toujours renaissant.
Serais-je un nuage ? Un papillon ? Un archipel de bactéries, une colonie d'îles, un essaim, un amas galactique ? Toutes ces images me conviennent, et beaucoup d'autres encore.
Par la dissolution de la forme j'accède à une autre vision, très proche du rêve ; je multiplie à l'infini les perspectives, pour me ranger enfin à l'ordre commun de la nature, qui, en deçà des formes visibles, se génère et se détruit, se compose et se décompose dans un tournoiement infini.
6
Le corps-esprit est une espèce de poème formé de bric et de broc, infiniment mobile, décentré, merveilleusement dynamique, adaptable, épousant toutes les formes, tous les mouvements, toutes les postures, tantôt nuage, tantôt pluie, soleil ou firmament, plage, pierre, feuillage, ciel, terre, gaz, cataracte, fleur de tournesol, araignée, vague ou chtysanthème.
Mais s'il abandonne toute structure fixe, il n'en est pas moins quelque chose, différent des autres choses, singulier absolument, en tous points original. Et ce quelque chose s'organise autour d'une béance, d'un trou, mais un trou mobile, toujours déplacé, insaisissable, tantôt en bas, tantôt en haut, à droite, à gauche, sur les bords, au milieu, partout et nulle part. Libido flottante qui traverse le corps de mille courants, recomposant sans fin une unité multiple et tentaculaire, pieuvre incandescente aux mille bords et mille bras, Shîva protoplasmique et rayonnant !
Nébuleuse à mille soleils parcouru de spasmes et de cris, avec un grand trou noir inexpugnable, imprévisiblement épars, qui lui confère un quasi-centre sensible et paradoxal.
Tel est le corps-esprit : un maas galactique désordinaire, dérivatif qui a nom : Désir.
7
FRISSON
Gélatine et gésine
O cela court miraculeusement
Frisson le long de vos deux bras
Depuis le cou
L'épaule
Au creux des reins
Alizés de douceur, tendres plaines, collines
Je ne sais rien de beau qui ne coule
Miel, et vapeur, et brise
O floraisons
J'ai parcouru les profondeurs salines
Vie et mort transfigurées
Hérault des deux royaumes
Je suis ressuscité!
8
HYMEN
De l'ombre à la lumière
Inversement
Aller, venir, entrer, sortir
Franchir l'hymen de porcelaine
Douce toile araigneuse ouverte et refermée
Dans les deux sens
Et ne jamais rester.
Je te salue corps de femme
Océanique, céleste et tellurique
O plages, criques de sel, corail
Forêts d"émail de cire et de résine
Flux et reflux depuis l'échine
Guidant la main du voyageur
Au labyrinthe où la mémoire se perd
Ah mourir, et renaître, encore, encore
Ne jamais s'arrêter
D'aimer!
9
Gauguin partout!
La végétation roule ses sphères
Flammes couleurs des tahitiennes
Sarraux sertis de pierre, oeil d'écureuil
Entre les branches
Le vert tournoie sur l toit des cabanes
L'ombre s'écrase
Ajourée d'ocre dansant
Le ciel voltige entre les feuilles
La sieste traîne comme bruit de mer
Au loin...
- le miroir de la belle qui se coiffe
Troue le citronnier noir de sa lame.
10
TOSCANE
Toute la profondeur remonte
A la surface
Plus de fond !
La peau
Ouverte comme un beau tapis d'orient
Tapis volant
Avec cent mille trous pour happer les étoiles
Cent mille couleurs pour épater les oiseaux
Plus de viscères
Le poumon est un potiron rose
Le coeur une citrouille
Les intestins se dévident à travers le ciel
Comme une corde à mongolfière
Je flotte doucement dans les airs
Les archanges chanteurs et baladeurs
Me tirent de l'orient à l'occident
Je suis le Christ ressuscité
Le monde est un tableau de la renaissance toscane
Les églises ont explosé
Les pierres des mausolées roulent par le vide immense
La Madone sourit aux lèvres de la lune
Ma religion à moi
C'est une grande peau sensible
Aux dimensions de cent mille univers !
11
Sensation avant tout !
Quelque chose s'émeut, vibre, résonne
Cordes du corps tirées, tocsin,
Sentir comme s'il fallait mourir
A la seconde !
Puis la caresse encore, la brise
Aspiration délicate de l'air
Lèvres gourmandes étonnées
Fleur de bouche
Chevelures d'humus et de pétales
Partout
Aiguilles perforantes, stridentes
Les sensations travaillent la surface
Et dissolvent le corps transi dans le feuillage.
CORPS-UNIVERS (12à 14) : poésie 3
12
Faire exploser
Lignes et formes!
Mots-touchers, vibratoires, solaires
Tournesols musiciens, éoliens
Ah faites-nous chanter
Vibrer
Mots-couleurs
Dispersés, éclatés
Juxtaposés
Face à face, tourbillonnaires
Rien que surface
Du bleu, du blanc, du vert
Clef de sol
Vents
Dans les tournesols
- Le poème-univers.
13
Plus que la Haute Cathédrale de Sienne
J'aime les petites chapelles aux pierres nettes
Dans les champs d'olivier
Nul n'y prie, n'y chante
Le soleil tintamarre sur les tuiles
Je m'asseois sur un banc gémissant
J'inspire doucement, le temps passe
Je m'oublie dans la mer immobile
De tous les millénaires.
14
Angkor
Déesses humides, enlacées, convulsives
Ah quel excès, quelle extase indicible
Dans la pierre figée ! Je rêve
D'inextinguible soif de rosée fraîche
De cascades, torrents, lianes entrelacées
Regard exorbité sur l' innommable absence
Par quoi la vie exulte et s'éternise!
Et au milieu
Sur l'étang où croassent les crapauds
De grandes feuilles vertes alanguies
Des lotus blancs et roses, comme des cils
Tremblants
A la frange liquide du sommeil.
CORPS-UNIVERS (fin) : poésie 3
15
J'ai traversé le sexe de la Mère
Ce lalyrinthe aux mille bras
Plus de peur
De mystère
Tout secret éventé
Ah qu'importe le temps, la mort
De toutes parts, je suis
De plain pied sans mesure
L'univers!
16
Effeuillaison
Sans racine tronc ou tige
Le corps absorbe l'air
De mille pores
Exsude
Protoplasmique, métaphorique
Il prend toutes les formes
Jamais ne meurt.
Ah la vue nous égare
Qui n'aime que le mat, que le dur!
Assis
Jambes ouvertes, buste droit
Je ferme doucement les yeux
J'écoute
Mon corps est une fine pellicule
Infiniment subtile et réceptive
J'absorbe l'ombre et la lumière
Les couleurs tournent comme des papillons
La pluie remonte vers le ciel
Tout l'univers se précipite
Tout scintille, tout passe
Le dedans, le dehors
Abolis
Composent un ballet fantastique
De vibrations phosphorescentes.
17
La vie ordinaire
Action, travail
Et l'arraisonnement de la terre
Tous la vivent et la meurent
Mais l'autre
La voie de vérité
La noble, la muette
Où la trouver ?
Parfois je vois un lieu sans lieu
Où l'être même, et toute sa fureur
Se dissolvent enfin
Paisiblement
Dans l'introuvable Demeure.
18
Un jour
Je ne ferai plus de poèmes
Aves des mots
Je serai poésie moi-même.
Rendu aux éléments
Nappe de lune entre les pins
Dune, rocher ou lande grise
Trille de rossignol, brame insistant
Feuille de vent.
Absous de tout
Dissous.
(Fin du poème : révision 2014 - Tous droits réservés. Guy KARL)
Le Chant des origines ; Chant I, 1
LE CHANT DES ORIGINES
Aux amis d'aujourd'hui et de demain
Amants de la vérité
CHANT PREMIER
1
PROLOGUE
O Muse, c'est toi souveraine qu'invoque le poète, ô Muse,
Mais où es-tu, où donc es-tu ô Muse ? J'invoque en vain
La douce musique de ton nom. Serais-tu donc
Avec les anciens dieux descendue aux Enfers,
Nous laissant seuls, sans voix, sans espérance,
Tels des enfants abandonnés ? J'erre par les rues désertes
Et le coeur me fait défaut, et ma pensée bredouille
Comme des mots d'enfants dans les ténèbres.
Mais quoi, il faut tenir jusqu'au coeur de l'absence,
Persévérer, marcher dans la soif et la peur,
Traverser le désert de l'âme, assumer la douleur
D'être seul, ignoré, ignorant, jusqu'au puits d'abondance
D'où couleront, parmi les fleurs, les vignes, les senteurs d'orangers,
Ces paroles ailées, ces doux accents du poème,
Que je compose pour toi, ami, dans les matinées claires
Quand la lumière du jour brille dans le feuillage,
Quand l'esprit régénéré embrasse toutes choses
Et contemple, lucide et calme, la genèse du monde.
Il ne faut rien attendre des dieux, mais l'esprit seul
De sa solitude, lui-même, doit tirer l'abondance
Et la musique, et la beauté, le rythme et la cadence
Qui feront voir en toutes choses le vide et la beauté.
Les feuilles doucement s'agitent sous la brise
Un couple de pies jacasse dans le feuillage ;
L'une s'agite et court de branche en branche, et l'autre
La poursuit avec la diligence du désir, ainsi fait
Tout ce qui vit de par le monde. Volupté
Tu nous tiens, nous étreins, nous enlaces et nous jettes
Hors de nous, nous propulsant vers la beauté de l'autre,
Et nous fais espérer dans l'étreinte un bonheur sans mesure ;
Ainsi se fait malgré nous, tout en nous, le grand jeu de la vie,
Le cercle infernal et sublime, la roue du désir
Et de la mort, s'éternisant, nous traversant, nous brûlant
De sa flamme amère, irrépressible et délectable.
Parfois je me lamente au spectacle, et parfois
Je m'émerveille, complice, de ce jeu cruel, désespéré,
Où chacun croit trouver ce qui lui manque, pour repartir
Bredouille, et sot comme devant. Car le désir se joue
De chacun, de chacune, et l'éveille, et l'agite
De mille soubresauts, de faux espoirs, de vaines illusions
Qui ne font que le jeu de l'espèce, et l'oeuvre faite,
La nature aussitôt l'abandonne à la funeste mort.
Nous ne vivons que pour passer. A peine nés
Nous voici assez vieux pour mourir, et notre oeuvre
Ne vaut que pour nos descendants. Ainsi
Me détournant de l'immense théâtre,
Je veux, ami très cher, consacrer ce peu de vie qui reste
A composer mes chants mélodieux, non pour la gloire
Incertaine et fragile, mais pour toi, et pour ceux
Qui, loin de la foule et des désirs anxieux,
Sauront, libres et justes, dans ces poèmes, voir
Une image de la vérité. Rien qu'une image certes
Qui couvre, ainsi que feuille agitée par la brise,
Le fond obscur, indicible et térébrant
D'où surgit toute vie, à quoi elle retourne
Selon le Temps, dans les plis infrangibles de l'éternité.
Toi qui espères le bonheur, comme font tous les hommes,
Je te dirai en toutes choses la limite. Ce qui était,
La douce enfance, le joli pré des premières amours,
Le tendre visage de celle que tu as courtisée,
Tout ce qui a glissé comme une eau entre tes doigts
Jamais ne reviendra. Et ta vie elle-même
Coule et roule dans les eaux toujours nouvelles
Et s'emporte elle-même, et rien ne peut
Tenir l'instant. S'il est pour l'homme une félicité
C'est de nager dans le grand Fleuve
Sans s'insurger, sans protester, sans ricaner
Mais de vivre l'instant qui passe
A chaque fois unique, et neuf, et vif, surgi des profondeurs,
Comme une chance unique,
Entre douleur et allégresse,
De le porter à la plus haute puissance
Où le hasard se fait nécessité.
Le Chant des origines : I, 2
2
Au début n'était pas le Verbe, ce bavard intempestif
Ni l'action, n'en déplaise au poète,
Car il n'y eut jamais de début dans la nature
Qui de toujours et pour toujours jette les dix mille êtres
Au risque de naître, de vivre et de périr,
Sans se lasser jamais de faire et de défaire,
Sans intention, si ce n'est de produire
Et de détruire cela qu'elle a jeté dans l'existence.
Immense et insondable elle est
Ce qui fut, ce qui est et sera, de toute éternité.
Elle remplit l'esprit de terreur infinie
Elle qui détruit tout, et de joie infinie
Au spectacle de sa puissance inconcevable.
S'il est un dieu, si vraiment tu veux garder ce terme
Impropre, c'est lui, le génie inconscient de soi, qui crée
Sans intention, sans but, sans cause et sans regret
Tout ce qui est dans le monde, tout ce qui vit
Jusqu'à la moelle interne du vouloir. Il est en moi
Il est en tout. Seul il existe, infiniment réel.
S'il n'est point de début ni de fin
Il est une origine, à chaque instant
Lorsque paraît chose nouvelle ou nouvelle pensée,
Qui jaillit du chaos, de l'informe, du pas encore déterminé,
De ce bouillon amorphe d'où procède
La Forme.
A l'origine était Chaos, disait Hésiode
Et c'est de lui que naît la Nuit féconde et bien plus tard
Le Jour. Alors la lumière divine se répand sur le monde
Et naissent les principes éternels de la Forme-matière
Dont la combinaison, la fusion, le mélange
Agités dans l'espace infini, brouillés et torsadés
Par les véloces tourbillons en tous sens
Entrelacés, entrechoqués de toute éternité
Produisent ces mélanges instables, enfants d'un jour,
Que nous appelont corps, improprement,
Car un corps, s'il apparaît parfois stable au regard
N'est rien qu'un processus de processus
Temporellement liés par une force d'attraction.
Les corps passent et se remplacent, seul demeure
L'immense force qui les brasse à l'infini dans le vide.
Ainsi, à chaque instant
L'origine se laisse entrevoir
Si tel un serpent dissulé dans les herbes
Guettant la proie
Tu te tiens à l'origine, toi-même,
Toutes affaires cessantes pour n'être que regard.
Et c'est ainsi qu'à tout instant
Coïncidant avec l'éternelle naissance
Toi-même tu te tiens à l'origine des choses.
Tel est l'action spécifique du sage
Qui ne fait rien, pour qui
Toutes choses se font à tout instant dans le silence.
Attentif, silencieux, léger comme un roseau
La brise et le courant des eaux qui passent
Tu les laisses passer par ton corps sensitif
Sans rien penser, sans rien vouloir ni désirer,
La lumière joue folâtre à l'orée du paraître
Rien ne compte plus désormais
Que cette effloraison des choses dans ton âme
La musique éternelle de l'eau et du roseau.