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LE CHAOS PHILOSOPHE de Guy KARL
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12 septembre 2015

NON-PENSEE- Chap IX : Eloge du minimum, 1

 

 

                                          ELOGE  DU  MINIMUM

 

 

                                                           I

 

 

L’excellent Schopenhauer, dès son adolescence tourmentée, décrétait vouloir consacrer sa vie à en percer le mystère. Dans son grand ouvrage « Le monde comme Volonté et représentation » écrit vers vingt huit ans, il estime avoir saisi l’essentiel, le reste de ses écrits n’étant qu’explicitation et approfondissement de son intuition centrale et unique : le vouloir-vivre comme vérité de tout ce qui existe. J’ai connu, semble-t-il, la même angoisse fondamentale, et je me suis dirigé très tôt dans l’étude de la philosophie, et nommément la sienne, qui fut pour ainsi dire mon acte de baptême. Malheureusement je n’ai pas atteint si vite une vérité définitive qui aurait illuminé ma vie. J’ai dû faire un gigantesque et assez lamentable détour par la psychanalyse, qui a manqué me tuer, mais dont les effets ne sont pas négatifs en termes de connaissance. Je n’avais pas l’extraordinaire lucidité de mon initiateur en philosophie, je mis fort longtemps à dégager, dans la pire angoisse, quelques bribes de vérité existentielle, dont je vois aujourd’hui fleurir les rejetons laborieux. Disons que je me crois en mesure de donner une sorte de synthèse provisoire, qui ne devrait plus guère changer, sauf révélation extraordinaire et plus qu‘improbable.

Ma conclusion d’ensemble consiste à affirmer le caractère tragique de l’existence, et en même temps la possibilité d’une sagesse du minimum, difficile à trouver, mais praticable. Ce n’est d’ailleurs pas particulièrement original, mais l’essentiel n’est pas là. Chaque penseur a plus ou moins la sotte prétention de reconstruire le monde à son image et de délivrer un message définitif. Mon propos est tout autre. J’assume sans problème tout ce que je dois aux penseurs du passé, et à quelques rares contemporains qui ont su m’inspirer. Ce qui est essentiel c’est la création d’un style absolument personnel, non dans la revendication de quelque nouveauté extraordinaire, mais dans la totale véridicité de l’intuition et de l’expression. Il faut, sauf exception rarissime qui est celle du génie, beaucoup de temps pour soumettre la pensée aux épreuves du réel, en corriger les erreurs, en sacrifier les illusions consolatrices, bref pour apprendre à penser dans la naïveté retrouvée de l’originaire. Nous savons trop de choses, et la plupart inutiles, ou funestes. Penser consiste plus à supprimer qu’à accumuler. J’ai lu beaucoup de livres, et qu’en reste-t-il ? On n’imagine pas Pyrrhon se promener avec un sac de papyrus sous le bras, à distribuer des citations ! Heureuse époque où les livres étaient rares,  les philosophes nombreux et inventifs !

Nous naissons, nous souffrons, nous mourons. Avant nous, l’immensité incommensurable des siècles, et après nous, la même inconcevable immensité. A notre échelle, rien avant, rien après, si ce n’est des parents et éventuellement des enfants, eux aussi jetés dans la même nature inconcevable, créatrice et destructrice, à l’infini. Tout ce que nous faisons c’est nous divertir du néant qui nous habite dès l’origine, et que nous cherchons désespérément à colmater avec ce qu’on appelle les formations du désir. Qu’est ce désirer si ce n’est agiter un chiffon rouge devant les yeux pour enflammer notre cœur ? Leurre dérisoire selon l’ordre de la connaissance. Une fois le chiffon déchiré, qu’avons nous gagné ? Leurre nécessaire en terme d’énergie vitale. Il faut bien nous dépenser, puisque nous sommes d’abord des prédateurs, et que l’inaction nous accable. Pas de vie sans leurre, voilà la terrible leçon. Mais quand on a compris cela on n’aime plus les entreprises de conquête, les voyages, les explorations, les séductions, les mirages, le tintamarre du marché et de la politique, les ambitions creuses, y compris la suffisance ridicule du savoir. Toute la vie de l’humanité, de l’origine à nos jours, et pour l‘avenir plus encore, n’est qu’une gigantesque histoire de fous ! Et les Etats sont des prisons, les religions des geôles, les croyances des délires, et toute l’institution, depuis le langage jusqu’aux plus hautes formations culturelles, un lavage de cerveaux ! La psychose collective est le régime ordinaire de la société, sans elle pas de lien social, pas d’idéologie patriotique, pas de sacrifices, pas d’héroïsme ! Une fois engagés dans cette voie critique nous devenons de plus en plus sceptiques, puis cyniques : même la révolution nous fait bâiller. Le nihilisme nous guette à présent, à moins que la dépression ne nous engloutisse. Réfléchissez à deux fois avant de suivre l’enseignement de Bouddha, de Pyrrhon ou de Schopenhauer ! Vous risquez votre peau. Mais dans la psychanalyse aussi, si du moins vous ne vous contentez pas des misérables jongleries lacaniennes En un mot le problème est de survivre à la vérité. Ce qui suppose évidemment qu’on ait envie de survivre, ce qui est à vérifier. Je ne dirai aucun mal du suicide philosophique, et je ne suivrai pas Epicure dans ses ironies un peu faciles. Pour moi, comme pour le Silène de la tragédie, le mieux est bel et bien de n’être pas né, mais cela nous fait une belle jambe ! Le mal est fait, irrémédiablement. J’appelle choix absolu ce moment où un sujet, en pleine conscience, fait le choix de vivre ou de ne pas vivre, à la lumière de ce qui est et qu’il a compris. Ce choix est indiscutable, souverain. Malheur à qui condamne !

Supposons que nous ayons fait le choix de continuer à vivre. Vivre, survivre, ou dévivre ? Après une telle expérience de la vacuité on est d’abord un survivant, un Romain hagard et maculé de lave jaillissant des ruines d’Herculanum. La rupture est trop radicale pour pouvoir jamais être oubliée ou niée. Notre homme a changé d’ère, rien n’est plus comme avant, il est devenu l’Etranger, il le sera toujours, même s’il décide de rejoindre la société des hommes. Tout lui sera dorénavant objet d’étonnement, comme pour ce Démocrite qui riait de tout, et de la douleur, et du chagrin, et du désastre, et de l’allégresse, et de la folie. Folle sagesse.

Mais c’est là viser bien haut. Pour moi, je suis plutôt entré dans une ère du « dévivre ». Mais ne nous y trompons pas ! Nous y sommes tous, dès l’instant de la naissance. Vivre c’est dévivre, selon l’ordre des choses. Quand à « vivre » nous le faisons sans y penser, et quand nous y pensons c’est la catastrophe ! Aussi passons-nous le plus clair de notre temps à dormir, à baiser, à travailler sans raison autre que de diversion.

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