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LE CHAOS PHILOSOPHE de Guy KARL
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17 septembre 2015

NON-PENSEE - Chap V - 1

     

                      D’ UNE  PRATIQUE  INTEGRALE

 

                                  I

 

 

 

Après tant de recherches difficiles, de déboires, de doutes, de découragements et de reprises, le temps est venu de tenter la grande synthèse dont je rêve depuis longtemps. Il ne s’agit nullement d’édifier un système philosophique à la manière des Anciens. L’âge métaphysique est révolu, tout comme celui des certitudes. Je voudrais plus prosaïquement tirer les fils de quelques intuitions fondamentales, en petit nombre, mais qui ont résisté à toutes les objections, à toutes les vicissitudes, et qui n’ont cessé de se renforcer au feu de l’expérience critique. J’avoue qu’il m’est devenu impossible de penser à la manière idéaliste et que les quelques maigres espérances que je nourrissais de ce côté se sont depuis longtemps taries. Je n’attends rien de la divinité, du savoir, de la justice et de toutes les grandes institutions humaines. Un doute fondamental et invincible me fait considérer le spectacle du monde comme dérisoire, et tragiquement inamovible. Je ne crois ni au ciel, ni à l’enfer, ni à aucune doctrine conçue dans l’histoire des hommes. Je n’ai aucun dogme, aucune espérance, aucune croyance. Je me ris de toutes les promesses de salut. Le meilleur est impossible et le pire n’est pas sûr. Aussi n’est-il rien à quoi vouer sa vie. Plus encore, il est hautement pernicieux et aliénant de vouer sa vie à quoi que ce soit, ou à qui que ce soit. Autrement dit, une existence humaine authentique doit valoir par soi et pour soi, ce qui, bien entendu, n’exclut en rien la présence et l’existence d’autrui. Le fondement ne saurait se trouver ailleurs qu’en soi-même.

 

Mon intuition centrale s’exprime le moins mal possible dans l’idée centrale de la Surface Absolue, qui est le minimum pensable, et formulable, du Réel. Au-delà commence l’idéologie. Mais on peut dire les choses autrement : dans nos représentations un vide se creuse qui ne saurait interrompre sa progression, son approfondissement, jusqu’à ruiner la totalité perceptible et pensable. Généralisation, amplification tragique, et cela condamne à jamais tout retour. Mais cette constatation n’a jamais troublé particulièrement les Orientaux, je veux dire leurs grands penseurs. Le vide est au cœur des choses, les choses sont elles-mêmes le vide. Mais tout cela je l’ai exposé ailleurs. Je veux simplement revenir à l’intuition fondamentale, pour déployer, à partir d’elle, une philosophie autre que celle qui est honorée sous nos climats.

Il s’agit de ruiner à jamais le dualisme philosophique, l’opposition  du ciel et de la terre, du divin et de l’humain, de l’humain et du non-humain. Une seule Nature, une seule réalité aux mille visages divers, et qui ne fait pas un tout, si ce n’est de la somme insommable. Nulle transcendance, nul paradis, nul nirvâna, nul salut. Les choses sont les choses, et nous avec. Rien avant, rien après. C’est cela la position tragique. Le premier acte de la philosophie est de ruiner à jamais tout espoir.

C’est vraisemblablement ce point aigu de l’origine absolue que voulait atteindre Nietzsche lorsqu’il réinvente l’éternel retour : tu ne peux échapper à ce monde, au devenir aveugle de ce monde, et si tu es un véritable sage tu accepteras l’hypothèse du retour de cet instant, et de tous les instants, à l’infini. Pensée sélective : ruiner l’espérance, les arrières-mondes et les idéalismes de tout poil. Devenir soi-même un élève de la terre, un poète de la terre, élever la pensée du présent infini à la plus haute puissance. Je suis d’accord avec l’intention, mais pas avec la méthode. Je ne saurais croire en un retour infini des mêmes combinaisons de forces pour la bonne raison que la physis universelle crée sans fin de nouvelles forces, et donc de nouvelles combinaisons. Le seul retour que je puisse concevoir c’est celui de l’origine sans fin, commencée à l’orée de chaque matin du monde. A chaque instant un nouveau présent apparaît et disparaît, et ce n’est jamais le même. Ce n’est pas le même qui revient, c’est toujours la même création de nouveauté, même source inconcevable, même jaillissement. Point n’est besoin de s’enfermer dans un cercle psychotique de répétition à l’infini. Mais à l’inverse, il est indispensable de se situer à chaque instant à l’orée des choses, et de coïncider, autant qu’il est possible, à leur génération spontanée.

 

Je trouve dans la pensée chinoise une intuition parallèle, et qui me remplit de joie. Le Ciel, pour un chinois classique, n’évoque aucun monde transcendant, aucun redoublement idéaliste de la réalité. Le Ciel c’est le fond indéterminé du réel, ce fond sans fond d’où sourd toute réalité individualisée, toute « chose » perceptible ou pensable. Loin de trôner dans les hauteurs le ciel est omniprésent dans le réel, générant sans fin, bien qu’invisible, puissance fondamentale, absolue et « inépuisable ».

De ce fond sans fond je veux déployer l’intuition, et, hors de la pensée qui ne pense que le connu, explorer dans la pratique l’infinité de la présence universelle.

 

 

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