POESIE 17 : ORIENTALES
ORIENTALES : POESIE 17
OMBRES MOUVANTES
Les ombres des feuilles
Sur le sol ensoleillé
Amoureusement
Comme dans l'immense espace
Dessinent des galaxies.
PS : le tanka est une forme poétique fixe que les Japonais ont pratiquée comme art classique séculaire. Il est entièrement formé d'éléments impairs : cinq vers dont la somme des syllabes est de 31 pieds, le premier vers de 5 pieds, le second sept, le troisième cinq, le quatrième sept ainsi que le dernier. Le vers impair est difficile à pratiquer en français, où prédominent largement les diverses formes du vers pair (6, 8,10,12). Cela oblige à des tours de force, des raccourcis et des retournements inédits dans l'expression, d'autant qu'on ne peut s'accorder que 31 syllabes, ni plus ni moins, pour tout dire en quelques mots rares et choisis. Mais la finale féminine du vers ne compte pas : ex ici le vers 1 compte pour 5 pieds, et le dernier pour sept.
C'est là un exercice assez passionnant : travailler la langue contre sa logique naturelle, s'imposer un rythme inhabituel, faire jouer les sonorités sans le secours de la rime, parvenir cependant à un tout mélodieux, sensé, qui fasse image C'est vraiment une esquisse dans l'esprit oriental.
PS : il existe une autre forme classique japonaise mieux connue, le Haïku, qui ne comprend que trois vers, soit les trois premiers vers du tanka. Ici l'expression doit atteindre l'extrême densité d'un coup de crayon magistral.
L'ici-maintenant
La flèche du temps le perce
Fulgurante et fixe.
2
ECLIPSE
De la lune il reste
A peine une lueur
Laiteuse qui traîne
Comme l’écharpe oubliée
De l’amoureuse en allée.
3
KAIROS
La sitôt rencontrée
La mer aux yeux d'aurore
Efface ses larmes.
Mais la nuit vacillante
Veille le berger hagard.
4
Chênes décharnés
Dans cet hiver sans mesure
Avez-vous une âme?
Dans le sommeil de la sève
Déjà brûle l'invisible.
5
Je vous aime tant
Beaux arbres qui respirez
Bleu et vert qui dansent !
6
Au fil de l'épée
Le vol blanc-noir de la pie
Tranche le nuage
Mais la montagne repose
Dans la splendeur du silence.
7
NUIT ET JOUR
I
Jusqu’au coeur du jour
La rêveuse, la pénétrante
La nuit s'éternise.
II
Au bleu crépuscule
La nuit glisse dans le jour
A la rose aurore
Le jour boit la douce nuit
L'une l'autre s'égalisent.
8
LAO TSEU
Le vieux chat qui somnole là-bas
Son âme vaste comme le monde
Séjourne à la racine des choses.
PS : Les Japonais, et Verlaine plus tard, nous recommandent la pratique de l'impair. Haïku et Tanka sont impairs de part en part. J'aime cette disposition boiteuse du rythme qui nous tarabuste et bouscule nos habitudes prosodiques. Le vers de neuf pieds méritait mieux que le dédain général et je remercie Verlaine d'en avoir fait le rythme de son "Art poétique". Quant à moi, en sus d'une complaisance pour le vers impair, et de celui-là particulièrement, je veux que la strophe elle aussi réponde à la même exigence. Joli trio, comme ceux de Dante dans la "Divine Comédie", mais avec neuf pieds, assurant de la sorte au poème une irrégularité sans complaisance.
9
Lumière d'aurore
Lumière à l'aube du soir
Lumière toujours.
10
La Femme conserve
L'Homme se disperse au vent
Semence et moisson.
11
Pluie
Goutte tombe clapotant
Tambour dans le tympan
Dans la morose pluie interminable d'avril, ce petit texte, né d'une impression incoercible, immédiatement donné dans la résonance d'une feuille gisant au sol, battue d'une régulière chute de pluie, résonnant comme tambour dans l'oreille du méditant. Cela fut aussi une consolation dans la mornitude du temps!
12
DANA
Le vent va, cueillant
Tout l'or des feuilles tombées,
L'offrir au soleil.
13
Silencieusement
Ouverte à toutes les brises
Légère elle passe
Comme feuille au fil de l'eau
- Si légère notre vie.
14
A chaque moment
Une part de notre vie
Se détache et meurt
Demi-teinte, ombre portée
Qui partout nous accompagne.