POESIE : CROQUIS de COLLIOURE
CROQUIS de COLLIOURE
OUVERTURE
En 1905 le destin réunit à Collioure plusieurs peintres célèbres qui, en quelques mois, réalisèrent une quarantaire de tableaux illuminés, célébrant l'exceptionnelle beauté du lieu. On les appela les Fauves.
En 2014 un hasard capiteux me fit découvrir chez un bouquiniste, sis dans la Carrer San Vincens, une suite d'eaux-fortes d'un poète inconnu, lequel avait même négligé d' y apposer sa signature.
C'est ce poète oublié que je me suis proposé d'exhumer, et ses croquis extravagants, offerts ici en exclusivité aux amis du Jardin.
CROQUIS de COLLIOURE
I
Brisures blanches, tournoyantes
Sur le roc. La lumière
Eclate et se déverse
Dévore la ville.
Ici tout danse
Tout s'émerveille
Et la mort même
Semble facile.
Un jour encore, une heure, ô Muse
Accorde moi le sursis salvateur
Le poème inédit, la faveur de l'éclair
Avant la grande nuit.
II
Le mauve et le fauve
Entrelacent de leurs bras
Lourds de raisin brut
Tels Dionysos en rut
Ciel et faune, et la mer jaune.
III
Rouge la maison
Ecarquille la fenêtre
Blanche à la lumière
Fauve qui irise l'or
Des reflets dansants sur l'eau.
IV
De nulle part - surgie
Comme un rêve coupant la nuit
Elle trace dans l'air une ellypse
Clé de sol, clé-mystère
- Vire d'une aile légère sur la mer,
Et fuit.
V
Les oiseaux du soir
Entre les palmiers zigzaguent
A coups de pinceau,
Qu'ils barbouillent de vif rouge
La nuit plate, qu'elle danse!
VI
Sous le château vieux
Piqueté de branches sèches
Le golfe, le golfe
O mon âme - s'illumine
De radieuse immensité!
VII
Je ne cherche plus à savoir
Je m'abreuve de lumière
A la terrasse au bord de mer
Ma pipe est comme un encensoir
Qui exauce le feu du soir.
VIII
Collines brumeuses, vignobles et châteaux
Semblent rêver sous le soleil d'automne
Un songe antique et persistant
Ambivalent comme sont tous les songes
A croire que le temps s'est arrêté
Depuis longtemps, depuis que l'homme est homme
Et que les dieux ont quitté notre terre.
Tout est calme et pensif, tout semble méditer
Et même la lumière semble hésiter
Au bord d'un précipice immémorial
Entre veille et sommeil. Collioure ma belle
Tu m'offres sous les feux vacillants de l'automne
Ce qu'en vain j'ai cherché dans l'art et la pensée.
Ulysse ne reviendra jamais ! L'exil
Plus fort que la nostalgie même
Attache l'homme errant aux hasards de l'errance
Loin des bosquets de la terre natale.
IX
Rocs déchiquetés
La mer consume la terre
Allons camarade !
Laisse doucement glisser
Ta barque à la désirade !
X
Sur les feuilles la pluie
Pianote l'air immémorial
"Il était une fois
C'était l'unique fois..."
Depuis ne battent plus
Que les doigts de la pluie.
XI
Tu veux faire voir la lumière,
Brise le vers !
Jeu de pépites
Feux errants, irradiants.
XII
Vieil homme au bord de la mer.
Il a fermé son livre, il se laisse rêver.
Du fond de son rêve antique et nostalgique
Monte la Forme Belle
Plus belle que toute forme belle,
Est-ce la vie, la vie belle qui t'appelle
Ou ce plus que la vie qui emporte la vie?
XIII
Baigneuses nues
Bras et jambes font la roue
Corolles violacées
Et pistil blanc.
XIV
Vagues
Et cela brasse, et remue, et remugle
Muffle taurin
Barques tressaillent sur leurs flancs
Et cela craque de babord, de tribord
Haut le coeur, haut le corps
C'est la vie paraît-il, la vie qui va
Bientôt la nuit t'emportera.
XV
Ce que tend une main
L'autre le reprend
Mais c'est la même main.
Tes bras fermés au dessus de ta tête
Dessinent la fatale roue
Où le temps volatil est piégé comme un rat
Qui s'acharne à courir et qui n'avance pas.
XVI
Visage
- Et ton oeil immensément ouvert
Conque marine où je nais, où je vis, où je meurs
Oeil-univers.
XVII
Anse de félicité ! Entre bourg et château
La mer étale ses soieries.
Garde, coeur pensif, coeur falot
Mémoire de la féérie.
Le temps réel du souvenir
C'est l'avenir.
Collioure, septembre 2014
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