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LE CHAOS PHILOSOPHE de Guy KARL
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10 avril 2015

CHAP 30 - La LUMIERE PHILOSOPHIQUE -

 

 

 

 

 

                              CHAPITRE TRENTE : La LUMIERE PHILOSOPHIQUE

 

 

 

 TABLE

 

1 Le Temps immense

2 L'Immense

3 De la Lumière philosophique

4 Khaos et la Lumière

5 Jardinage et promenade philosophiques

 

 

 

 

 

 

 

"Le temps immense".

 

 

Cette belle expression de Jung,  je la fais mienne. Elle me parle au cœur, elle m’exalte comme un vin jeune et vif. Elle réveille en moi de fortes imaginations d’enfant, de sublimes et indéracinables émotions, de belles rêveries qui bercèrent mes longues heures d’ennui et de langueur, alors que je mourais à petit feu dans la salle de classe surchauffée, et que dehors la vie  brillait dans la lumière. J’aimais évoquer les vieilles civilisations disparues, je courais le vaste monde, je naviguais par les océans infinis, j’étais flibustier de la Jamaïque, j’étais conquérant analphabète, mendiant et Tchandala, croisé de causes impossibles, aventurier, poète, j’étais tout à la fois :

     J’étais Akhenaton et pêcheur de morue

     Cochise et Sitting Bull, Alexandre le Grand

     Il n’était pas de borne à mes rêves d’enfant

     Hélas, j’ai tant rêvé, je ne m’en souviens  plus !

Suis-je encore ce garçon épris de conquête et de gloire, cet adolescent ivre de poésie qui sèchait gaillardement les cours pour hanter tavernes, bistrots et Winstubs, pipe fumante en bouche à rimailler mon invincible désir d’ailleurs ? Je le crois volontiers, si je me laisse un instant vaticiner au gré, si j’oublie l’adulte que je suis devenu, si  j’ouvre toutes béantes les portes de mon imagination. Me voici jailli hors des limites étroites de ma vie présente, et viennent à moi, refluent de toutes parts les marées de l’enfance éternelle. Le temps immense c’est ce qui nous porte de toute éternité, nous semble-t-il, ce qui déborde le présent, vers le passé infini et vers l’avenir inconcevable. L’adulte, par la puissance de l’imagination, renoue en profondeur  avec l’enfantin qui ne saurait disparaître tout à fait sans ruiner toute puissance de renouvellement. Etrange comme ce temps du passé, ce temps de l’intériorité la plus intime est mobile, chaotique, revenant sur lui-même, et soudain vertigineusement indécis, ouvert sur l’abîme. Sans continuité, sans structure fixe, ni linéaire ni cyclique, mais imprévisible, serpentin, à la fois familier et totalement imprévisible : « unheimlich », comme nous le sommes, sans le savoir, pour nous-mêmes.

Temps d’une animalité du corps et des instincts, temps du tigre, de l’ours, de la grue, temps du serpent : en nous les éléments sacrés, incréés, terre et eau, air et feu, continuent sans trêve leur danse nuptiale, nous portant, nous transformant, nous recréant, nous emportant ! Et par eux, en eux, nous sommes aussi la danse, danse de la terre, de l’eau, danse de l’air, danse du feu ! Les éléments nourrissent et rafraîchissent notre corps, inspirent l’âme, de quelque manière nous immortalisent !

Imagination active qui se source des expériences les plus anciennes, temps hors du temps, immémorial et fécondant !

Mais à l’inverse, l’avenir me laisse singulièrement indifférent, atone, sans représentation : l’avenir ne me parle pas. C’est qu’il n’y a pas d’expérience de l’avenir, pas de sensation, pas de perception, mais une froide disponibilité sans sujet ni objet, sans chair, sans âme. La raison n’émeut pas. Bien sûr on peut rêver un avenir, mais il se trouve que j’en suis incapable. Mon avenir se borne à la minute qui vient. Je sais trop que je ne puis escompter davantage. Et pourtant le temps continue fatalement, avec moi ou sans moi, mais je ne puis m’émouvoir à ce sujet. C’est là l’indice d’une fatigue de la raison, fatigue d’une époque sans perspective.

Mais mon imagination s’emballe à considérer l’immensité de l’univers, les milliards de galaxies, l’inconcevable d’un espace immensément dilaté, et comme Lucrèce, entre horreur et volupté, je m’essaie en vain à me  représenter le temps du monde infini. Lucrèce et Pascal : disproportion de l’homme entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Que devient notre pensée du temps dans de telles conditions de dépossession ? J’envie parfois les astrophysiciens : ne voyagent-ils pas dans l’infini ?  Et puis, saisi de vertige, je me range à la mesure de l’humain, je rejoins la demeure confortable du temps rétréci, je laisse aux dieux le souci du monde, je me tourne vers mon jardin, vers mes roses de poésie, je consens à mon destin de mortel.

Le temps immense est en nous, comme est en nous toute la matière, toute l’énergie, toute la ressource du monde. Nous ne le savons pas, mais ce savoir, à nous de l’acquérir. Il en résulterait une dimension autre, inédite et poétique de l’existence.

 

 

 

 

2 L'Immense

 

 

 

Un mot me hante ce matin, qui entre en résonance avec je ne sais quelle émotion très ancienne, archaïque et familière comme tout ce qui touche à cet Autre dont je m'obstine en vain à scruter le mystère. Est-ce une personne chère dont l'ombre me hante comme un double intérieur? Mais je ne sais pas son nom, ni son genre même. Elle est un peu comme ces ours en peluche dont l'enfant ne sait s'il est père ou mère, les deux ensemble, ou encore quelque autre figure indécidable, d'autant plus douce qu'elle n' a pas de vrais contours, et peut-être même pas de visage. L'Immense me hante ce matin, comme les étoiles dans le ciel noir, comme de gigantesques yeux ouverts sur l'infini, qui absorbent en eux la totalité du monde. Les yeux immenses de quelque divinité chtonienne, immense comme le monde! Est-ce la grande Astarté des Anciens, celles pour qui se châtraient les fidèles dans une orgie de sang, de chants et de vin? Mère primitive, génératrice universelle, forme informe d'avant toutes les distinctions, principe neutre de tout ce qui vit et qui respire sous le soleil? L'Immense n'a ni genre ni sexe. Il (elle) ignore toute séparation, toute délimitation. C'est l'Apeiron d'Anaximandre - le sans limites - c'est La Femelle Obscure de Lao-Tseu. C'est le ça de Groddeck. Mais pour moi c'est l'Immense.

Antérieure à toute délimitation. Antérieure au langage même, principe vital d'avant la coupure de la langue. Territoire non territorialisé, no man's land d'avant toute frontière. Neutre par rapport au genre, a-sexué par rapport au sexe, in-défini par rapport aux signes linguistiques, tiers-exclu par rapport à la logique binaire du sens, tout-englobant par rapport à l'espace, illimité par rapport au temps. Aïon face à Chronos. Chaos d'avant la naissance de Gaïa et d'Ouranos. Pur Eros sans objet, pure affirmation de la puissance illimitée : La Mère, La Femme, la Tombe !

 

 

 

 3  La Lumière Philosophique

 

 

"Que tous les sites sacrés de la terre soient assemblés autour d'un site, et la lumière philosophique autour de ma fenêtre, voilà maintenant ma joie". C'est dans ces termes énigmatiques, et singulièrement expressifs, que Hölderlin exprime la condition de son nouveau bonheur. "Tous les sites sacrés" : entendons les innombrables sites où souffle le vent, où croît la végétation, où courent les rivières, où paissent les vaches et les chevaux, où les cimes des montagnes élèvent la pensée vers l'Illimité. Où la perception des éléments comble d'allégresse l'âme du poète. Mais tous ces sites sont rassemblés autour d'un site unique, centrifuge et royal, là précisément où demeure le poète, dans une région bénie des dieux, dans une maison calme et pensive, près d'un ruisseau, sous les arbres méditatifs, en congruence poétique avec la sérénité retrouvée. Et le Tout "autour de ma fenêtre", "la lumière philosophique autour de ma fenêtre" : admirable expression qui lève en moi des émois et des rêveries infinies ...Lumière du Sud, lumière toute grecque, même dans l'éloignement de l'Aquitaine, car pour le poète toute lumière philosophique est d'essence grecque, de qualité grecque. Souveraine gloire d'Apollon, ici, à quelques pas de l'Océan, "l'ébranleur du sol", comme dit Homère. L'Océan tourbillonne, comme les vents du vaste lontain, emportant les aventuriers, vers les Amériques aux arbres géants, vers les gouffres et les abîmes. Hölderlin n'a-t-il pas caressé, enfant, le rêve des espaces infinis, des contrées sauvages, à la rencontre d'étranges humains au plus près de l'état de nature? Mais le voici assis à sa table d'écriture, méditant Sophocle et Pindare, décidé à créer une tragédie moderne qui ne soit pas indigne des Anciens. A vrai dire il ne sait plus trop s'il veut écrire une tragédie, car l'esprit de la modernité le pousse plutôt vers l'Hymne pindarique, aux amples mouvements libres, et seule apte à rendre compte, selon lui, de l'esprit du temps, de ses tensions, de ses promesses troubles, et de son incertitude.

"La lumière philosophique, autour de ma fenêtre...". On raconte que des visiteurs qui s'étaient rendus auprès d'Héraclite le surprirent dans sa salle d'aisance, en bien humble assiette, comme le premier venu, s'occupant de choses toutes ordinaires. Et le grand sage leur dit, en toute simplicité :"Ici aussi habitent les dieux". Dans l'extrême intimité, comme dans le vaste monde, les dieux sont toujours là, présents pour le poète. Il sait rassembler autour de lui, en lui, la lumière, et la lumière est la philosophie même, pour qui est Grec.

La lumière c'est le plus "commun", non au sens de la vulgarité, ou de la facilité. Le commun c'est ce qui fonde la communauté humaine sous l'éclairage, mieux, sous l'éclair du divin : le Feu du Logos. Lumière du jour, mais celle-ci qu'est elle, sinon l'envers prodigieux de la grande Nuit? Le poète connaît et l'une et l'autre, et dans son âme les contraires se combattent sans fin et s'harmonisent. Il a su explorer les abîmes de la vérité, et la vérité encore, du jour : jour-nuit, c'est tout un. Mais aujourd'hui il se fait l'amant de la lumière qui joue au rebord de sa fenêtre, qui illumine le pin dans la cour, réjouit les enfants qui jouent aux dés en criant, en se querellant comme de petits moineaux. Le poète écrit quelques vers, et se laisse à nouveau gagner par la rêverie... Là bas, la Grèce, des îles miraculeuses, des anses de soleil et de corail où jouait Aphrodite, entre les rochers, et Nausicâa, riant, boucles blondes au vent, sur la plage. Entre deux larmes il revoit sa chère Diotima, son amour impossible, lui sourire avec mélancolie. La reverra-t-il jamais? Sa dernière lettre l'inquiétait fort. Sa santé chancelait. Et lui, ici, si loin de l'adorée. Ah que ne pût-il l'embrasser à distance, la serrer dans ses bras, une dernière fois! La nuit, gravement, tombe sur le poète, l'enserre de toutes parts dans son éteau. Alors il ressaisit son exemplaire de Pindare, il relit quelques vers, et retourne à son propre ouvrage : la tristesse, et la mélancolie, certes il les connaît, mais elles ne doivent pas l'emporter, elles doivent nourrir son oeuvre, et non le détruire.

      "Une année encore, une année, accordez moi, ô Muses

       Avant que le sombre Orcus ne m'emporte là-bas"

Soit il est seul. Et même son pays bien-aimé ne sait que faire de lui, se détourne de lui. Mais il baigne dans la lumière philosophique, il est l'amant des Muses, et les Muses ne l'abandonneront pas. "Ici aussi, dans cet humble logis, vivent les dieux".

 

 

 

4 Khaos et la Lumière

 

 

 

Au début était Khaos, la grande Faille. On encore la Nuit, à entendre comme le fond sans fond précédant toute émanation, source universelle. Du fond sourd, éternellement jeune, vivante et créatrice, la nature, Physis, en sa prodigieuse prodigalité. Les Chinois disent : la Mère des dix mille êtres, la Femelle obscure. Mais ne soyons pas dupes de la formule : « au début » n’a pas de début, est de tous les débuts, à chaque matin du monde, éternelle aurore qui déjà a lui, qui luit ce matin même, et qui luira encore. C’est ici que s’origine le sentiment d’éternité : éternelle aurore du monde, et de la pensée.

Cette évidence est la réponse lumineuse à la mélancolie qui voit en toute chose le déclin et la mort. La mélancolie est un savoir terrible, mais c’est un demi-savoir. Elle privilégie la pente descendante, oubliant que la route qui descend est la même que celle qui monte. Que le déclin du jour, la venue de la nuit, sont la condition d’un nouveau jour.

Du Khaos émerge la lumière. La lumière établit les choses dans leur statut, fixe les contours, donne la mesure. Sans elle pas de monde. Elle distribue, répartit, distancie, met en rapport, sépare et unifie. Elle fonde le multiple comme tel dans l’unité supérieure qui les réunit : un et tout, l’un est le tout, le tout est l’un, l’un se séparant de soi dans le multiple, le multiple se réunissant éternellement dans le tout. 

Ce n’est pas un hasard si Héraclite célèbre le Logos, mais le Logos est d’abord Phaos, lumière. Par la lumière il y a une nature, et un Logos commun, qui pèse les choses, les reconnaît dans leur statut, les pense dans leur nature, et les pose dans le discours (logos). La fondation de ce qui s’appelle depuis lors philosophie c’est l’acte lumineux du jour reflété, redoublé dans la conscience. Aussi chaque matin faut-il revenir à l’éblouissement fondamental, qui nous fait naître comme conscience lumineuse dans la lumière du monde.

La lumière s’origine de la grande Nuit. Il ne faut pas oublier la nuit, refouler, négliger sa vertu propre.  Il importe de savoir mourir chaque soir, de porter en soi l’énigme de la nuit, pour renaître au petit jour. Plus originel que tout autre mouvement, celui-ci nous fonde en vérité. L’habiter est notre noblesse, notre santé et notre salut.

 

 

 

5 Jardinage

 

 

Jardinage et promenade sont les activités canoniques du philosophe épicurien. Le jardinage s'entend comme une synthèse réussie de la nature et de la culture. Cultiver son jardin c'est accueillir le don de la pluie et du soleil, de la racine, de la tige et de la fleur : cela naît, cela croît, cela dépérit, cela meurt. Loi de nature. Cultiver c'est ajouter ce petit quelque chose qui transforme la profusion sauvage en beauté : règle de l'art. La règle n'est pas la loi, la culture n'est pas la nature. Ce serait folie de les confondre, comme nous faisons trop souvent en arraisonnant la nature dans un délire productiviste. Il en est du jardinage comme de la médecine : le médecin soigne, la nature guérit. Le jardinier plante, arrose, sélectionne, redresse, mais c'est la nature qui agit. Nature : forces actives. Culture : forces réactives, adaptatrices, correctrices. Il faut laisser en toutes choses l'initiative à la puissance illimitée de nature, et se contenter de couper çà et là, de rectifier par endroit, au bon moment, de stimuler ou de freiner la croissance. Et quoi que nous fassions, la fleur finit par faner, comme nous faisons nous-mêmes. La sagesse éternelle c'est de bien penser ce rapport, de ne pas le gauchir dans la passion, de ne pas le dévoyer dans l'hubris.

Il en va de même dans l'esprit. Nul ne peut changer son idiosyncrasie native, ni d'un chien faire un chat. Nos dispositions naturelles nous pouvons les éteindre ou les raffermir, nullement les créer de toutes pièces par un décret de la volonté. Le désir fondamental est à comprendre et à cultiver dans l'esprit du jardinage, "effort de persévérer dans son être". Et ce qu'on appelle pompeusement "raison" est en somme une aptitude intelligente à développer harmoniquement ses dons de nature. La raison serait l'intelligence du désir. C'est dans la dimension créative que se mesure le mieux ce propos, à la condition expresse d'ôter à la dite création toute prétention créationniste, toute idéologie théophanique. La vraie création est l'apanage exclusif de la nature.

En bon philosophe nous cultiverons le corps et l'esprit : exercices physiques, marche, respiration consciente, conversation choisie, lecture occasionnelle, écriture, pensée, art et poésie, culture du Jardin, bien sûr, mais sous le regard des Muses, auprès des Nymphes, à la lumière d'Apollon. Mais le vin aussi, et Dionysos, et la joyeuse compagnie des amis philosophes. La culture prolonge la puissance de nature, l'élève à la suprême puissance.

J'aime bien la notion de promenade. "Rêveries du promeneur solitaire" disait Rousseau. Ni randonnée, ni escalade, ni excursion, ni exploration, ni tourisme, ni baguenaudage ou crapahutage, ni flânerie, et pélérinage moins encore. Rien de particulier à découvrir, rien à chercher, rien à trouver. C'est d'abord un plaisir : aérer, mettre en jambes, étendre, inspirer, expirer, délasser, détendre, plaisir tout physique d'un organisme doué pour le mouvement et le repos, pour l'inspir et l'expir, l'alternance, la mêmeté et la diversité. Et ce rythme emporte l'âme et l'esprit, fait danser les neurones, exalte et amplifie les sensations, les images et les pensées, - et pour finir, comme disent les Taoïstes, nous chevauchons le vent!

Depuis très longtemps je rêvais d'un style d'écriture original, tout personnel, absolument conforme aux dispositions natives de mon tempérament. Je déteste les grands traités, les sommes qui assomment, dissertations et dissections. Je ne respire à l'aise que dans le fragmentaire. Je ne peux plus penser autrement. Tout retour en arrière m'est impossible. Au feu du tragique j'ai brûlé mes anciennes peaux, et à défaut d'être nu comme Empédocle au bord du cratère, je cultive une semi-nudité, réservant quelque secrète pièce à mon usage intime.

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